François Bayrou a-t-il lu mon billet
«
Retirons
un peu de pouvoir aux hommes d'affaires » ? Peu
importe. La petite phrase du leader de l'UDF sur la connivence
entre le candidat de l'UMP et les puissances de l'argent vaut la
peine qu'on s'y attarde. Parce qu'il a dit la vérité, tout d'abord.
Ensuite parce qu'il met le doigt sur le sens profond du
sarkozysme : tromper la fraction des classes populaires
pourvue du droit de vote en lui vendant, avec la complicité d'une
partie des classes moyennes et supérieures, un ersatz de politique
sécuritaire et une vraie politique xénophobe pour mieux la
dépouiller de la Sécurité Sociale, de ce qui reste de sécurité de
l'emploi, et plus généralement de l'ensemble des droits
sociaux.
Le plus intéressant au fond est que Bayrou attaque sur ce terrain
glissant pour lui, certains parlementaires et dirigeants UDF
n'ayant rien à envier à l'UMP quant à la connivence avec les
puissances de l'argent. S'il s'y risque, c'est peut-être qu'il a lu
en détail les réponses au
sondage mené par l'université du Maryland dans vingt pays à
propos de l'économie de marché. L'affirmation «
Les
grandes entreprises ont trop d'influence sur notre
gouvernement » recueille l'approbation de 86% des
français. Ce n'est d'ailleurs pas une spécificité française puisque
85% des sondés aux États-Unis donnent la même réponse.
Toujours mettre les choses en perspective. Je vois mal comment on
peut essayer de comprendre ce qui se passe aujourd'hui sans
remonter à l'évênement majeur de ces cinquante dernières années. À
savoir la victoire du capitalisme sur l'Union Soviétique, et les
suites de cette victoire. Dans l'immédiat après-guerre-froide, la
dénonciation du pouvoir de l'argent était ringardisée. Elle
redevient aujourd'hui un argument de poids dans une campagne
présidentielle. Et c'est tant mieux, puisque c'est effectivement
une question de fond : le gouvernement du pays doit il être
confié aux fondés de pouvoir de ceux qui gouvernent
l'économie ? Quinze ans après 1991, le capitalisme est
toujours aussi triomphant dans les faits, mais un peu moins dans
les esprits. Tout spécialement dans les esprits de ceux qui ont à
en souffrir, et ils sont nombreux.
En 1994, Jacques Chirac lançait «
la feuille de paie n'est
pas l'ennemie de l'emploi ». Ça pouvait passer pour une
rupture avec le credo balladuro-sarkozien selon lequel la baisse
des salaires et des cotisations sociales était le seul remède au
chômage. Et on ne m'ôtera pas de l'idée que cette affirmation n'est
pas pour rien dans son accession à l'Élysée, tant elle a donné à de
nombreux salariés électeurs de droite, du centre, ou sans attaches
politiques, l'impression qu'enfin un candidat de leur sensibilité
pouvait passer à autre chose qu'à la satisfaction des
revendications patronales. Évidemment il était hors de question
pour Chirac de changer quoi que ce soit à la politique de l'emploi,
et les électeurs en question se sont fait avoir.
Aujourd'hui, Bayrou tente de récupérer ce potentiel électoral (il
évoque au passage le côté « humain » de Chirac, ce n'est
pas par hasard), selon la même technique : lancer une phrase
forte et vraie, que l'on attendait pas forcément dans sa bouche,
pour rallier les couches salariées non politisées, ou proches de la
droite et du centre. Quant à savoir si l'UDF peut elle-même se
passer de connivence avec les puissances de l'argent, c'est une
autre histoire. Mais il est des vérités qui sont bonnes à dire. Et
à entendre.