août 27, 2006 Archives

dimanche 27 août 2006 23:57

Femmes noires au service de la personne blanche

Mais comment font-elles ? Deux à quatre lieux de travail différents chaque jour. Au total trois ou quatre heures dans les transports en commun, compte tenu des attentes et des changements. Heures non payées, bien sûr. Encore bien si les déplacements sont pris en charge. Les centre-villes sont de moins en moins résidentiels. Sauf pour les familles les plus aisées. Mais ces dernières ont les moyens de se payer une employée de maison à temps plein.

Les aides à domicile à temps partagé, salariées d'une association, sont mensualisées depuis trois ans. C'est un progrès, mais il y a des inconvénients. Surtout quand on perd un « client » : ça arrive régulièrement avec les personnes agées. Un jour ou l'autre, elles partent en maison de retraite. Mais le plus souvent, c'est qu'elles n'ont plus les moyens de payer : quatorze euros de l'heure, ce n'est pas donné. Quand ça arrive, l'association trouve le plus souvent de nouveaux « clients » pour maintenir le nombre d'heures. Mais c'est en périphérie, alors que la personne âgée habitait en ville. D'où l'allongement des trajets en bus.

Avant la mensualisation, l'aide à domicile avait le choix : elle prenait ou pas les nouveaux « clients ». Le salaire variait de mois en mois en fonction des heures travaillées. Maintenant, il est calculé sur la base d'un nombre d'heures moyen. La régularisation, en plus ou en moins est faite au bout du trimestre. Si vous avez travaillé plus, l'association employeuse ne se plaint pas, on s'en doute. Par contre, si vous ne faites pas le nombre d'heures pour lequel vous êtes payée, elle n'aime pas ça du tout. D'où son insistance à vous faire accepter deux heures de repassage, même si elles vous contraignent à faire deux heures de trajet.

Si vous tenez, Mesdames les Aides à Domicile, c'est parce que vous avez besoin d'un salaire, bien sûr. Mais bon nombre d'entre vous, ont une autre raison. Faire le ménage chez les particuliers, quand on est femme et quand on est africaine, c'est presque une fatalité. Même si ce n'est pas une vocation.

Et ce n'est pas prêt de changer : au pays, dans votre famille, vous avez laissé un ou plusieurs enfants. Et vous êtes prêtes à tout supporter, tout sacrifier, pour les faire venir auprès de vous. Et votre employeur le sait.

D'abord, vous devez avoir une situation stable : être au chômage, ça ne fait pas vraiment bien dans le dossier. Et bien sûr, il faut mettre de l'argent de côté. Pourtant de l'argent, vous devez en envoyer chaque mois. Rien que les frais d'envoi de cinquante euros vous sont facturés dix euros par Western Union. Soit une heure et demie de votre salaire net. Et en plus de votre envoi mensuel, il faut assurer aussi quand un des enfants tombe malade, ou la grand-mère à qui ils sont confiés. La famille, là-bas, peut d'ailleurs être tentée de grossir un peu les petits bobos. À cinq mille kilomètres comment vérifier ? Vous ne leur en voulez pas. C'est votre famille. Vous savez ce que c'est que de manquer de tout. C'est justement pour ça que vous êtes partie. Mais c'est une raison supplémentaire, s'il en était besoin, pour faire venir les enfants le plus rapidement possible.

Alors demain sans vous plaindre, vous retournerez nettoyer les toilettes des Blancs. Et vous endormir dans des bus surchauffés que vous aurez attendus dans le froid. À un arrêt, vous croiserez peut-être une compatriote et vous échangerez quelques mots en wolof ou en ewondo : « Ça y est, tu as déposé le dossier ? »

Mères africaines, sans vous et votre détermination, que deviendraient les associations d'aide à domicile ? Et, surtout, surtout, que deviendraient les beaux discours des hommes politiques sur les services à la personne ?

Posted by Jean Ploi | Permanent Link | Categories: general, salariat