Femmes noires au service de la personne
blanche
Mais comment font-elles ? Deux à
quatre lieux de travail différents chaque jour. Au total trois ou
quatre heures dans les transports en commun, compte tenu des
attentes et des changements. Heures non payées, bien sûr. Encore
bien si les déplacements sont pris en charge. Les centre-villes
sont de moins en moins résidentiels. Sauf pour les familles les
plus aisées. Mais ces dernières ont les moyens de se payer une
employée de maison à temps plein.
Les aides à domicile à temps partagé, salariées d'une association,
sont mensualisées depuis trois ans. C'est un progrès, mais il y a
des inconvénients. Surtout quand on perd un
« client » : ça arrive régulièrement avec les
personnes agées. Un jour ou l'autre, elles partent en maison de
retraite. Mais le plus souvent, c'est qu'elles n'ont plus les
moyens de payer : quatorze euros de l'heure, ce n'est pas donné.
Quand ça arrive, l'association trouve le plus souvent de nouveaux
« clients » pour maintenir le nombre d'heures. Mais c'est
en périphérie, alors que la personne âgée habitait en ville. D'où
l'allongement des trajets en bus.
Avant la mensualisation, l'aide à domicile avait le choix :
elle prenait ou pas les nouveaux « clients ». Le salaire
variait de mois en mois en fonction des heures travaillées.
Maintenant, il est calculé sur la base d'un nombre d'heures moyen.
La régularisation, en plus ou en moins est faite au bout du
trimestre. Si vous avez travaillé plus, l'association employeuse ne
se plaint pas, on s'en doute. Par contre, si vous ne faites pas le
nombre d'heures pour lequel vous êtes payée, elle n'aime pas ça du
tout. D'où son insistance à vous faire accepter deux heures de
repassage, même si elles vous contraignent à faire deux heures de
trajet.
Si vous tenez, Mesdames les Aides à Domicile, c'est parce que vous
avez besoin d'un salaire, bien sûr. Mais bon nombre d'entre vous,
ont une autre raison. Faire le ménage chez les particuliers, quand
on est femme et quand on est africaine, c'est presque une fatalité.
Même si ce n'est pas une vocation.
Et ce n'est pas prêt de changer : au pays, dans votre famille,
vous avez laissé un ou plusieurs enfants. Et vous êtes prêtes à
tout supporter, tout sacrifier, pour les faire venir auprès de
vous. Et votre employeur le sait.
D'abord, vous devez avoir une situation stable : être au
chômage, ça ne fait pas vraiment bien dans le dossier. Et bien sûr,
il faut mettre de l'argent de côté. Pourtant de l'argent, vous
devez en envoyer chaque mois. Rien que les frais d'envoi de
cinquante euros vous sont facturés dix euros par Western Union.
Soit une heure et demie de votre salaire net. Et en plus de votre
envoi mensuel, il faut assurer aussi quand un des enfants tombe
malade, ou la grand-mère à qui ils sont confiés. La famille,
là-bas, peut d'ailleurs être tentée de grossir un peu les petits
bobos. À cinq mille kilomètres comment vérifier ? Vous ne leur
en voulez pas. C'est votre famille. Vous savez ce que c'est que de
manquer de tout. C'est justement pour ça que vous êtes partie. Mais
c'est une raison supplémentaire, s'il en était besoin, pour faire
venir les enfants le plus rapidement possible.
Alors demain sans vous plaindre, vous retournerez nettoyer les
toilettes des Blancs. Et vous endormir dans des bus surchauffés que
vous aurez attendus dans le froid. À un arrêt, vous croiserez
peut-être une compatriote et vous échangerez quelques mots en wolof
ou en ewondo : « Ça y est, tu as déposé le
dossier ? »
Mères africaines, sans vous et votre détermination, que
deviendraient les associations d'aide à domicile ? Et,
surtout, surtout, que deviendraient les beaux discours des hommes
politiques sur les services à la personne ?