Quatre vingt livraisons par jour,
parfois sur plus de deux cent cinquante kilomètres. Tel est le
quotidien des chauffeurs de camionnettes en messagerie. Roule ou
crève.
Il ne s'agit pas de tournées régulières, ce serait trop simple.
Chaque jour, à part quelques points fixes, les points de livraisons
sont différents. La journée se termine vers 17 ou 18 heures. On
mange à midi dans la camionnette. Au bas mot cinquante heures par
semaine.
Ce secteur est caractérisé par une explosion de la sous-traitance.
Les donneurs d'ordres, souvent des sociétés multinationales, savent
qu'ils peuvent compter sur une main d'œuvre toujours
renouvelée : les candidats ne manquent pas. Il suffit d'avoir
le permis voiture et le rêve de se mettre à son compte. Autant dire
que ça fait du monde. Même pas besoin d'acheter la camionnette. Des
loueurs de véhicules savent profiter de ce marché juteux sans
prendre beaucoup de risques.
Chaque matin, à 5 heures 30, les forçats de la livraison viennent
préparer leur tournée chez le donneur d'ordre. Il faut venir tôt
pour avoir un quai de chargement et partir à 7 heures. Pour obtenir
la tournée, le livreur a tiré le prix au plus bas.
D'autant
plus que depuis 2003, il peut continuer à percevoir tout ou partie
de son allocation chômage. Le prétendu « État
providence » sait être providentiel pour les multinationales
de la messagerie.
Il arrive que certains livreurs surnagent. Ils songent alors à
embaucher, pour prendre d'autres tournées. Comme il est impossible,
à cause de la concurrence, d'augmenter le prix de la prestation au
donneur d'ordre, les mesures d' « aide à l'embauche »
s'imposent :
- aide dégressive à l'embauche, qui permet à l'employeur de
percevoir une partie appréciable de l'allocation chômage de son
salarié (rappelons que l'employeur lui-même perçoit souvent la
sienne)
- contrat d'insertion RMA qui lui permet de percevoir le RMI du
nouvel embauché, versé par le Conseil Général
- contrat initiative emploi (subvention mensuelle de 40% du SMIC
brut, financée par le budget de l'État)
Il n'est pas rare de voir ainsi un petit patron percevoir son
ASSEDIC et celle de son ou ses salariés. Ce qui lui permet de tirer
les prix vers le bas. Bien sûr quand sa petite entreprise a coulé,
il se retrouve sans rien.
Il est difficile aux conducteurs-livreurs salariés de trouver un
poste. Vu la pression des nouveaux candidats (ceux qui sont
dégoutés du bâtiment ou de la restauration, ceux qui ont perdu leur
emploi dans l'industrie frappent à la porte), ils acceptent des
conditions de travail démentes. Jusqu'à l'accident, ou jusqu'à la
perte des douze points de leur permis. En effet, les rythmes de
travail font des limitations de vitesse une vue de l'esprit.
Surtout en zone rurale, où les radars sont moins rentables.
À tous les
peigne-culs cols blancs bien assis derrière leur
bureau, qui estiment qu'« en France on fait trop de
social » et que la condition ouvrière s'est bien améliorée,
je souhaite d'avoir à faire 80 livraisons par jour sans connaître
les adresses à l'avance. Et de manger chaque jour un sandwich au
volant.
Et à à toutes celles et tous ceux qui pleurnichent sur la dette de
l'État je demande s'il est bien utile que l'argent des
contribuables et des cotisants participe à la prospérité des
multinationales de la messagerie.