De tous les articles publiés sur l'affaire des retraits en liquide
à L'UIMM,
celui publié dans Challenges par Sabine Syfuss Arnaud me semble
le plus sérieux.
Morceau choisi :
La caisse noire du patronat ? Un ancien ministre de
l'Economie confie à Challenges «en avoir entendu parler». A Bercy,
on évoque même une tradition en vigueur depuis... 1860. «La caisse
existe depuis 1884, cela passe par le système bancaire depuis
1947», rectifie un bon connaisseur des arcanes de
l'UIMM.
Pour la plupart des journaux, la piste du financement syndical est
privilégiée. Possible, mais je ne vois pas ce qui exclut d'autres
pistes, y compris le financement de certaines carrières
politiques.
De toutes façons, ne s'intéresser qu'à ces retraits en liquides,
c'est certainement oublier l'essentiel. L'UIMM et le MEDEF, qui ne
représentent qu'une infime minorité de la société française,
comptent beaucoup d'amis. Des universitaires, des hommes politiques
bien sûr, mais surtout des journalistes n'hésitent pas à se mettre
à leur service, en toute transparence. Et sans qu'il y ait besoin
de leur verser de l'argent en liquide. J'en profite pour faire la
pub ici d'un (probablement)
excellent
livre (je ne l'ai pas lu, mais je le lirais aujourd'hui avec
intérêt) publié en 2001 par un excellent donneur de leçons.
Pour en revenir à l'argent liquide et à d'éventuels versements à
des organisations syndicales, on ne peut bien sûr pas l'exclure.
J'ai toutefois un peu de mal à imaginer ce qu'un tel système
impliquerait en interne au sein de l'UIMM. Bien qu'il soit évident
que cette aimable organisation n'ait jamais renié (elle) le
centralisme même antidémocratique, les versements, s'il y a eu
versements, ne pourraient pas être à l'initiative d'une seule
personne. Combien de personnes participeraient à la décision ? Qui
trancherait en cas de désaccord ? Qui rendrait des comptes à qui
sur cet argent ?
Les cotisants de l'UIMM, au moins les plus importants d'entre eux
parmi lesquels des industriels de l'armement, ne pourraient qu'être
au courant. Ils auraient accepté que _leur_ argent (c'est ainsi
qu'ils appellent ce qui sort de _leur_ entreprise) s'évapore sans
laisser de trace ?
C'est quand même beaucoup plus efficace de négocier avec une
organisation syndicale une place dans dans le conseil
d'administration d'un organisme de formation sous contrôle, et ils
ne manquent pas, ou d'un organisme social que de lui remettre du
liquide. Même si on ne peut exclure que ça puisse arriver ici ou
là.
Bien sûr, des syndicats jaunes ont existé. Des milices patronales
aussi. En général très proches de l'extrème-droite. Mais les
patrons ont-ils encore besoin de ça aujourd'hui ?
Et s'il existait (supposition totalement gratuite, mais la question
mérite à mon avis d'être posée) un système de ristournes ? L'argent
sortirait de l'entreprise en tant que cotisation, voire de
surcotisation, parmi les frais généraux, puis « I want my
money back ». Une partie reviendrait sous forme d'argent
liquide au dirigeant. L'intérêt d'un tel système semble
suffisamment évident pour que je n'aie pas besoin de le détailler.
En tout cas, ce qui rentre dans les comptes de l'UIMM a sans doute
autant d'intérêt que ce qui en sort. Quels sont les rapports, par
exemple entre le groupe EADS et l'UIMM ? Le premier, bien que
groupe européen, cotise-t-il à la seconde ? Même si ce n'était pas
le cas, il y a forcément des liens. Ne serait-ce que par les
filiales. Le président de la DCN, lui, est au bureau de l'UIMM. Son
groupe devait l'année dernière fusionner avec Thalès, autre
adhérent. Espérons que le secret-défense, qui a bien servi dans
l'affaire des frégates, n'ira pas jusqu'à empêcher la publication
des comptes de l'UIMM.
Pour en revenir à Challenges, il faut absolument lire aussi
l'éditorial de Denis Kessler.
Il y expose sans détour que le temps est venu d'en finir avec ce
qui a été mis en place conjointement par les gaullistes et les
communistes à la Libération : la Sécurité Sociale et le statut
de la fonction publique. Rappelons pour mémoire qu'à l'époque les
organisations patronales tenaient moins le haut du pavé
qu'aujourd'hui et qu'elle n'ont pas eu vraiment voix au chapître au
moment de ces deux avancées décisives pour les salariés. Kessler
explique, entre autres, la contribution des chars russes à ces deux
avancées.
Voici sa conclusion :
Il aura fallu attendre la chute du mur de Berlin, la
quasi-disparition du parti communiste, la relégation de la CGT dans
quelques places fortes, l'essoufflement asthmatique du Parti
socialiste comme conditions nécessaires pour que l'on puisse
envisager l'aggiornamento qui s'annonce. Mais cela ne suffisait
pas. Il fallait aussi que le débat interne au sein du monde
gaulliste soit tranché, et que ceux qui croyaient pouvoir continuer
à rafistoler sans cesse un modèle usé, devenu inadapté, laissent
place à une nouvelle génération d'entrepreneurs politiques et
sociaux. Désavouer les pères fondateurs n'est pas un problème qu'en
psychanalyse.
Contrairement à ce que beaucoup croient, Kessler n'a pas forcément
retourné sa veste en passant du gauchisme au monde des affaires.
Ses bêtes noires sont toujours les mêmes.
On n'a pas de mal à supposer qu'aussitôt après la Libération,
l'UIMM et d'autres institutions patronales aient pu constituer un
trésor de guerre au cas où. Des habitudes auraient été prises, des
circuits financiers mis en place, qui auraient pu perdurer puis
servir à autre chose quand les temps furent devenus plus doux pour
ces messieurs.
Sur le syndicalisme patronal en France de 1890 à 1986 on peut lire
cet article de Sybille Gollac.
Sur la mise en place des mutuelles patronales anti-grèves, voir
ceci.
Le système paraît tout de même mieux rodé que des valises de
billets.
Enfin, à propos de gauchisme, comment font donc les trotskystes
pour se payer trois candidatures aux présidentielles ?