« L'an dernier, j'ai même payé des impôts »
Il en est fier Jamel. Ça fait trois ans qu'il bosse en intérim.
Toujours dans les deux mêmes entreprises. Surtout une, spécialisée
dans la logistique. Dans cette boîte, environ les deux tiers des
salariés sont comme lui des intérimaires.
Il n'est pas seulement fier d'avoir payé des impôts. Je sens qu'il
est fier de son boulot aussi. Préparer mille colis par jour (entre
10 et 40 kilos chacun), ce n'est pas à la portée du premier venu.
Fier d'avoir tenu la cadence : «
Tu as un lecteur de code
barre que tu passes devant chaque colis. Si tu restes deux minutes
sans commencer un nouveau, ton numéro clignote sur l'Ipod du chef
qui dit ton nom au micro ». Fier d'avoir accumulé des
heures de travail : «
On a fait tellement d'heures que
l'Inspection du Travail a obligé l'agence d'intérim à nous payer
plusieurs jours à rester à la maison ».
Jamel a 27 ans et depuis quelques semaines, il prend de plus en
plus de médicaments à cause d'un mal de dos qui ne veut plus se
faire oublier. Pas question de demander un arrêt-maladie. Sa
cadence de travail a diminué plusieurs jours de suite. Alors son
chef lui a expliqué que la mission ne serait pas renouvelée dans
l'immédiat. On le rappellera dans deux ou trois mois.
Peut-être.
Sans lui dire évidemment qu'avec toutes les heures accumulées en
intérim, Jamel peut
déposer
une demande de formation dans le cadre du
CIF. Il a même passé le
seuil au delà duquel la demande est examinée en priorité. Son rêve,
c'est la « grande distri » : devenir chef de rayon
dans une grande enseigne. Muni de son bac, ça lui prendra peut-être
un peu de temps, mais ce n'est pas un rêve extravagant.
En attendant ce qui va lui manquer, c'est le tout petit briefing du
matin, à l'américaine (ce sont ses termes, j'aurais dit plutôt "à
la japonaise") : «
L'entreprise compte sur nous, nous
sommes les meilleurs, on va donner le maximum ».
Scène ordinaire de la vie ouvrière en France au début du
vingt-et-unième siècle.