août 19, 2006 Archives

samedi 19 août 2006 14:51

Intérim quand tu nous tiendras...

Petit à petit l'intérim fait son nid. Depuis l'année dernière, les agences de travail temporaire ont la possibilité de proposer des CDI. Bien qu'elles aient beaucoup communiqué sur ce thème les premiers mois, la montée en charge de ce type de service est très progressive. Sans doute parce que les entreprises utilisatrices ont un peu de mal à saisir l'intérêt de confier leurs recrutements de personnel permanent à des entreprises de travail temporaire (ETT). Sans la précarité, l'intérim est beaucoup moins sexy pour les employeurs, du moins à première vue.

Haute valeur ajoutée

Mais faisons confiance aux ETT, elles savent qu'il y a beaucoup d'argent à faire sur les recrutements permanents. Et la perspective de faire de l'argent, il n'y a rien de tel pour susciter des petits accords entre amis. Associations avec des cabinets spécialisés dans les plans sociaux ou les missions de reclassement qui s'ensuivent, rachat de cabinets de conseil en ressources humaines, création de filiales ETTI (entreprises de travail temporaire d'insertion), tout est bon pour élargir le champ d'action des fournisseurs occasionnels de main d'œuvre. ADECCO, présente ainsi le rachat d'ALTEDIA, la société de Raymond Soubie (l'ex-conseiller social de Raymond Barre) :

"Ce partenariat avec Altedia et ses fondateurs est une occasion unique d'étendre le leadership d'Adecco dans le domaine à haute valeur ajoutée du conseil RH," a déclaré Jérôme Caille, CEO du groupe Adecco. "En alliant la puissance de LHH, la division mondiale de services en gestion de carrières d'Adecco, avec l'approche unique d'Altedia dans le conseil en RH amont et l'expertise de son équipe de direction, nous créons une nouvelle plate-forme de croissance en Europe pour accompagner nos clients dans leurs challenges en matière de productivité et de ressources humaines."

Lire le communiqué en entier

Le recrutement, pierre angulaire du conseil RH, peut effectivement se révéler un domaine à haute valeur ajoutée. Et le service public de l'emploi n'est pas un concurrent, bien au contraire : il travaille pour les agences d'intérim. Celles-ci se fatiguent de moins en moins à chercher dans leurs propres fichiers. C'est beaucoup plus simple de diffuser une offre sur le site de l'ANPE et de voir venir. Et puis c'est gratuit. Même pour un recrutement en CDI.

Par contre pour l'entreprise utilisatrice, c'est tout sauf gratuit. Malgré la concurrence que les agences se font entre elles, le « coefficient multiplicateur » varie peu. Même dans le cas où l'ETT n'a pas à s'occuper du recrutement, mais seulement de l'établissement des contrats et des bulletins de salaire, elle facture à son client quasiment deux fois le salaire brut de l'intérimaire. Et ce cas n'est pas exceptionnel : il arrive souvent que l'entreprise utilisatrice connaisse déjà le salarié, mais le renvoie elle-même vers l'ETT.

Facturer 200 % du salaire brut, quand les cotisations, les congés payés et les indemnités de fin de mission représentent à tout casser 60% de ce même salaire brut, ça laisse quand même 40% pour l'ETT, soit une marge sur facture de 20%. Soit l'équivalent de la moitié du salaire net du travailleur temporaire. Pas mal !

Rabattage vers l'intérim

Dans certains cas bien particuliers, des salariés peuvent trouver avantage à travailler en intérim. Particulièrement les titulaires de qualifications très pointues qui peuvent à la limite gérer leur temps, changer de lieu de travail à peu près quand ils en ont envie, etc. Mais la plupart des intérimaires, au bout d'un an ou deux au maximum, ne rêvent que de sortir de ce système. Tant pis pour eux, le gouvernement a mis en place le Harcèlement Mensuel Obligatoire (connu aussi sous le nom de Suivi Mensuel Personnalisé) qui les contraint à rencontrer un conseiller ANPE chaque mois. Conseiller qui leur remettra obligatoirement des offres d'emploi, ou plus exactement des offres... de travail temporaire, puisqu'elles représentent aujourd'hui l'essentiel des propositions publiées par l'ANPE pour les ouvriers. La boucle est bouclée et les actionnaires d'Adecco se frottent les mains. Quand on vous dit que l'affaire est juteuse...

A contrario, il ne faut pas attendre des ETT, qu'elles informent les intérimaires de leurs droits. Le Code du Travail prévoit par exemple que pour être travailleur temporaire on en est pas moins concerné par le droit à la formation. Un organisme, le Fonds d'Assurance Formation du Travail Temporaire, collecte les cotisations versées au titre du Congé Individuel de Formation (CIF) à charge pour lui de financer des formations pour les personnes ayant totalisé plus de 1.600 heures en intérim dans les 18 mois précédents. À charge pour l'agence de travail temporaire d'informer individuellement, dès la première mission, chaque travailleur temporaire. Ce n'est quasiment jamais fait. Force doit rester à la loi, sauf si elle évoque les droits des travailleurs.

Dérapage mal contrôlé

Le filon est tellement juteux qu'il arrive que certains franchissent carrément la ligne jaune de la légalité. En 2002, un industriel de l'Est de la France avait monté en son nom une petite agence d'intérim pour fournir ses propres ateliers. On n'est jamais si bien servi que par soi-même. Or c'est rigoureusement interdit. Le Code du Travail assimile cette pratique au marchandage de main d'œuvre et la réprime par une peine de prison. Pas d'inquiétude, les Procureurs répugnent à poursuivre les infractions au Code du Travail, en prétextant le plus souvent que les salariés n'ont qu'à s'adresser aux Prud'hommes. L'industriel en question a eu tout le temps de s'organiser pour refiler la responsabilité de l'agence d'intérim à un proche et régulariser la situation. L'État de droit doit triompher dans les cités HLM, mais pas forcément dans les affaires.

Fondamentalisme thatchérien

Où s'arrêteront les entreprises de travail temporaires ? Après avoir fait du service public de l'emploi un sous-traitant à titre gracieux, auront-elles encore intérêt à le phagocyter ? La question reste posée. Mais la raison économique n'est pas le seul facteur à prendre en compte. Les fondamentalistes thatchériens continuent de trouver scandaleux que l'État intervienne sur le marché du travail autrement que pour compter les chômeurs. Selon eux, la mise en relation entre l'offre et la demande, le placement devrait relever du privé. Parce que le privé c'est mieux toujours et partout et dans les siècles des siècles.

Un scenario à l'anglaise n'est donc pas à exclure, où l'on verrait quelques grands groupes externaliser leur service ressource humaine auprès d'une Big Company - pourquoi pas Adecco ? - laquelle pourrait obtenir du gouvernement et/ou de l'Unédic la mission de placer les chômeurs les plus « employables ». Justement le profilage des chômeurs et leur répartition en différents parcours seront mis en œuvre dès cet automne. Il deviendra enfin possible de facturer deux fois la même opération : le recrutement et le placement étant les deux faces du même processus, la Big RH Company pourra se faire payer à la fois par le recruteur et par la collectivité.

Quand le CEO d'Adecco parlait d'activité à haute valeur ajoutée, il ne se vantait pas.


Posted by Jean Ploi | Permanent Link | Categories: emploi