À propos des radiations administratives
« Ils ne mouraient pas tous, mais
tous étaient frappés »
Comme la peste racontée par La Fontaine, les dispositifs mis en
place par le gouvernement pour sanctionner les chômeurs, frappent
indistinctement.
Comment pourrait-il en être autrement ? Qui peut sonder les reins
et les cœurs ? Qui peut dire en conscience que telle ou tel a
réellement envie de trouver un emploi ? Et quel emploi ?
Le contrôle de la recherche d'emploi est en réalité une mission
impossible. Il est très facile, à supposer qu'on le souhaite, de
multiplier les candidatures, de se présenter à toutes les
convocations, et ... de s'arranger subtilement pour ne pas être
embauché. Surtout si on fait partie de la classe moyenne, ou à tout
le moins si on en connaît les codes.
A contrario ne pas se présenter à une énième convocation, alors que
les précédentes n'ont pas eu d'autre objet que de constater
l'absence de postes disponibles, ne signifie pas qu'on ne cherche
pas activement un emploi. On peut très bien, au contraire, être
parti quelques jours dans une autre région, explorer un marché du
travail plus propice. Ou plus simplement, avoir été appelé au pied
levé par l'agence d'intérim.
Tant pis, le système tel qu'il est sanctionne les seconds beaucoup
plus que les premiers. Mais ce n'est pas un hasard si les
radiations frappent beaucoup plus souvent les ouvriers et les
employés que les cadres et professions intermédiaires. Et encore
plus souvent celles et ceux qui n'ont rien, même pas un métier.
Ceux-ci ont pourtant toutes les raisons d'avoir des difficultés à
trouver un emploi. Ils devraient faire l'objet d'une attention
toute particulière. Or ce sont justement celles et ceux-là qui
se font le plus saquer.
Le mécanisme est le suivant : Madame ou Monsieur X ne s'est pas
présenté à une convocation. Constatant qu'un entretien n'a pas été
enregistré dans l'ordinateur central de l'Assédic à la date prévue,
celui-ci envoie automatiquement un « avertissement avant
radiation » à Madame ou Monsieur X. Aucune intervention humaine. La
machine, c'est bien connu, ne risque pas d'avoir des états d'âme,
encore moins de réfléchir.
À partir de là, la victime de la machine devient un prévenu qui
doit venir se justifier. Expliquer pourquoi il ne s'est pas
présenté. Passer sous les fourches caudines. S'excuser. Demander
pardon. Aller à Canossa et faire profession de bonne et loyale
recherche d'emploi. C'est relativement facile, quoique désagréable,
pour qui est habitué à faire semblant et à ne pas dire ce qu'il
pense. Dans tous les cas c'est une humiliation : être traité en
coupable pour une absence à convocation quand on est victime de
l'absence d'emploi décidée et voulue par d'autres est une
expérience qu'on ne peut souhaiter à personne.
Très logiquement, une partie des « avertis avant radiation »
ne réagiront pas, ne se défendront pas, ou se défendrons mal. Très
logiquement, les plus faibles, ceux qui ont déjà la tête sous
l'eau, seront dans ce cas. Radiés de la liste des demandeurs
d'emploi, ils continueront à chercher, à prendre ici une mission
d'intérim, là une distribution de prospectus. Faut bien qu'ils
mangent,
Par contre, ils auront été balayés des statistiques. C'est
important, les statistiques. On peut en faire des discours, des
articles dans les journaux. Au delà de ce bénéfice immédiat pour
les gouvernements d'hier et d'aujourd'hui, les radiations en masse
ont un objectif pédagogique. Il s'agit de punir au hasard pour
susciter la crainte et la soumission. Et ça marche. La preuve : les
quartiers populaires votent de moins en moins.
L'hypocrisie des puissants n'a pas de limites. À nous de les
sanctionner pour « absence d'actes positifs de lutte contre le
chômage et la pauvreté ».