Balladur et Sarkozy m'ont appris la lutte des classes

Imprégné de catholicisme progressiste dans l'enfance et l'adolescence, adepte de Gandhi et Luther King, marqué par la lecture du « pavillon des cancéreux » d'Alexandre Soljenitsyne, farouchement individualiste dans ma vie quotidienne, je n'étais sans doute pas programmé pour m'affirmer un jour communiste. Surtout après la chute du Mur de Berlin.

Il y avait bien cette idée, apprise au détour d'un cours de philo, que « seul le travail crée de la valeur ». Au début, elle m'avait heurté, et comme toujours dans ce cas là, je l'avais décortiquée, retournée dans tous les sens, avant de m'apercevoir qu'elle me convenait. Mais cette idée n'est pas spécifique au marxisme puisque Ricardo l'a exprimée avant Marx.

Très logiquement jusqu'à 35 ans, j'ai fait partie de la GNC, la gauche non communiste, comme on disait dans les années 70. Je ne pouvais pas être de droite : je ne supporte pas qu'on méprise quelqu'un pour la seule raison qu'il ne possède rien. Un peu de deuxième gauche par ci, un peu de PSU par là, je me composais mon petit cocktail personnel. Très logiquement j'étais syndiqué à la CFDT. Bref, j'étais un gentil garçon. Lech Walesa, l'électricien de Gdansk, était mon héros. La chute du Mur et la fin de l'Union Soviétique ont été pour moi, en 1989 et en 1991, des évènements heureux. En 1992, j'ai voté, et fait voter « oui » au referendum sur le traité de Maastricht.

C'est après, que j'ai commencé à tiquer. Non pas à propos de la monnaie européenne ou des plans sociaux, j'étais à l'époque concaincu de leur nécessité. Ce qui m'a choqué, à vrai dire, ce sont les bouquins qui sont sortis à cette époque : la fin de l'Histoire et le dernier hommede Fukuyama, Capitalisme contre capitalisme de Michel Albert et un article de Rocard sur John Rawls où il proposait de remplacer la notion d'égalité par celle d'équité. Tout ça sentait la revanche : maintenant que les Rouges ne représentaient plus grand chose, on pouvait tirer un trait sur les aspirations à l'émancipation et au progrès social.

Très rapidement, le summum a été atteint au temps du balladurisme triomphant. La « nécessité des réformes » n'était que trop évidemment la volonté de reprendre la totalité des commandes, de la part des milieux d'affaire. De profiter sans tarder d'une défaite du monde du travail. Là, j'ai compris qu'on s'était fait avoir. Les milieux d'affaire, eux, n'avaient jamais oublié que l'Union Soviétique était la patrie des travailleurs. En ce sens, que la seule existence de l'Union Soviétique faisait bouger les lignes entre le Travail et le Capital au sein de chaque pays. J'ai regretté alors de m'être stupidement moqué, comme tant d'autres, de Georges Marchais. Balladur et Sarkozy m'ont appris la lutte des classes.

Les leaders de la Gauche non Communiste ne se sont pas fait prier pour rentrer dans le rang du capitalisme triomphant. Les intellectuels, des ex-maos aux ex-trotskystes, sont allés à la soupe. Ceux de la deuxième gauche, qui l'avaient déjà goûtée, sont devenus balladuriens. Et Tapie était le rempart ultime contre le Front National. Tout ça à cause de la situation géopolitique. Les Rouges ne faisaient plus peur, donc fin de l'Histoire et malheur aux vaincus, en l'occurrence les ouvriers et les chômeurs.

Alors forcément, j'en ai tiré les conclusions. j'ai adhéré début 1995 au PCF. J'ai vendu l'Huma-Dimanche dans les HLM, côtoyé des anciens résistants, analysé en réunion de cellule des rapports au Comité Central, fait signer des pétitions au coin des rues. En 1998, je n'ai pas repris ma carte : je n'étais pas d'accord pour participer à la gauche plurielle. Fondamentalement, je ne suis pas fait pour militer de façon continue dans une organisation politique. Toujours aussi individualiste. Si je suis amené à reprendre une carte, ce sera au PCF bien sûr. Les organisations gauchistes, pas question. Surtout après les avoir vues à l'œuvre dans les mouvements sociaux de ces dernières années. Et elles, elles ont gagné la guerre froide.

En attendant, je milite à ma façon. Individuellement. En franc-tireur. Je raconte ce que je sais de la vie des gens que je côtoie. Comme je vis dans une cité, ça fait pas mal de choses à raconter qui ne passent pas forcément dans les journaux. Parce que montrer la vie telle qu'elle est, et non pas telle que la mettent en scène les commissaires politiques du pouvoir de l'argent, c'est déjà faire acte de dissidence.C'est la raison d'être du weblog de Jean Ploi.


Publié le 2 septembre 2006 par Jean Ploi
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